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Lycée Charles Péguy Orléans
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Prix de la mémoire et du civisme

A la mémoire de Charles Péguy et de ses compagnons d’armes, morts au champ d’honneur le 5 septembre 1914 à Villeroy


Dans le bus, l’ambiance était plutôt calme ; nous étions certes excités à l’idée de cette semaine de voyage scolaire, mais sortis trop tôt de notre sommeil, nous n’avions pas cherché à résister à un doux engourdissement. Au bout de 200 kilomètres, l’arrêt un peu brusque du véhicule nous a réveillés tout à fait.
Aux alentours s’ouvrait un paysage vaste et morne : des champs à perte de vue, quelques arbres au loin, un peu de brouillard, un ciel bas et gris, presque oppressant… A la descente du bus, la claque d’un vent glacial nous a frappés de plein fouet. Alors, mon regard s’est porté sur un édifice blanc, sorti de nulle part, placé là à la manière d’une sentinelle égarée. C’était un de ces si nombreux monuments aux morts, érigés en hommage aux hommes tombés durant la Première Guerre Mondiale. Je découvrais avec étonnement cet univers si vide aujourd’hui, et pourtant chargé d’histoire : le site de Villeroy.
Dans ce désert humain, une silhouette, pourtant, nous attendait près de sa voiture, au bord de la route. Peu à peu je l’ai identifiée : c’était bien notre proviseur dont la présence inattendue nous a particulièrement surpris. Il avait donc mis entre parenthèses son quotidien pour se joindre à notre hommage destiné à Charles Péguy. C’est à ce moment là que j’ai mesuré toute l’importance de l’événement, et plus encore ce que signifiait le « devoir de mémoire ». Nous ne pouvions que nous incliner devant le sacrifice de ces deux cents hommes dont le nom était gravé sur le monument.
Une autre personne est venue à notre rencontre et nous a ouvert le portillon de la clôture qui entourait l’édifice ; c’était le maire de Villeroy. Sa présence renforçait le côté solennel des circonstances. Nous nous sommes alors regroupés face à tous ces noms inscrits à jamais sur la stèle blanche et nous avons pu déchiffrer, en haut à droite, celui du lieutenant Charles Péguy. En lisant, j’ai réalisé avec une infinie tristesse combien de ses compagnons d’armes étaient restés dans l’anonymat de cette guerre meurtrière. Comme pour souligner la douleur qui m’habitait, certaines élèves présentes dans le groupe se sont mises à entonner un chant en anglais rappelant la mémoire de ces pauvres victimes des combats. La mélodie se perdait dans le vent et je ne pouvais songer à autre chose qu’à ces âmes malheureuses qui erraient autour de nous et cherchaient à se rappeler à notre souvenir. J’éprouvais alors une émotion intense mais difficile à décrire. Le nom même de Charles Péguy prenait pour moi une autre signification : il ne désignait plus simplement celui de notre lycée à Orléans, mais il représentait une personne pleine de courage, morte pour sa patrie et notre liberté.
Puis, le chant s’est arrêté et l’un de mes camarades en a lu la traduction d’une voix grave. Chaque mot sorti de sa bouche venait me briser le coeur :


Nous sommes morts,
Nous qui songions la veille encore
A nos parents, à nos amis.
C’est nous qui reposons ici,
Au champ d’honneur.


J’ai fermé les yeux et je me suis représenté la réalité de la guerre vécue par tous ces hommes dont seul le nom subsistait : un vaste champ à franchir, l’ordre de charger à la baïonnette, la course éperdue à découvert, le fracas de la mitraille, les soldats qui tombent, leurs cris de douleur, la multitude des mourants qui jonchent le sol… Combien d’amitiés anéanties ? Combien de couples brisés ? Combien de familles déchirées ?
Quand le silence est revenu, j’ai repris conscience du monde qui m’entourait. Monsieur le Proviseur et les délégués de ma classe sont venus déposer une gerbe de fleurs devant le monument. J’ai été particulièrement émue par ce geste car j’ai compris que le choix
des végétaux qui la composaient était lourd de signification : les épis de blé, qui normalement sont un symbole de vie, évoquaient alors l’existence fauchée de ces malheureux soldats ; les roses blanches rappelaient la pureté de leurs âmes et leur soif de paix.
Nous avons enfin observé une minute de silence. Je ressentais autour de moi la présence de mes camarades partageant le trouble qui m’habitait face à l’étrangeté oppressante du lieu et la solennité du moment. Et une fois encore, face à ces champs désolés et à cette stèle solitaire, je n’ai pas pu m’empêcher de repenser à l’héroïsme de Charles Péguy, le 5 septembre 1914, lorsqu’il a dû prendre le commandement de sa compagnie après la mort des autres officiers. Courageusement, il a poursuivi l’attaque engagée. Mais soudain, son élan a été brisé par une balle qui l’a frappé en plein front. Dans un dernier soupir, il a alors prononcé cette phrase désolante gravée à jamais dans ma mémoire : « Oh, mon Dieu ! Mes enfants… »


Ambre MAJCHRZAK-DIRUIT
Classe de 2de6
Lycée Charles Péguy d’Orléans


Ce texte a été composé pour concourir au Prix de la Mémoire et du Civisme de la Fédération Nationale André Maginot. Il a été sélectionné par monsieur BOUHNIK, professeur de français au lycée Charles Péguy d’Orléans, parmi 35 textes d’élèves de la classe de 2de6.